Résumé
Cet article se propose d'étudier la pensée des auteurs qui, de Lénine à René Girard en passant par Ludendorff, Carl Schmitt et Michel Foucault, ont retourné la célèbre 'Formule' de Clausewitz, tirée de son traité Vom Kriege : "la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens". Tout semble séparer ces auteurs, à commencer par leur positionnement sur l'échiquier politique et idéologique du 20e siècle. Pourtant, deux thèses les réunissent qui expliquent leur inclination commune à penser les rapports entre guerre et politique à rebours de l'adage clausewitzien. Du point de vue idéologique, ces cinq penseurs partagent une même défiance à l'égard de la philosophie libérale qui entend sortir l'homme des affres de la guerre. Pour eux, non seulement le libéralisme ne peut atteindre cet objectif utopique, mais il est de surcroît impuissant à gouverner la guerre, car malhabile à prendre les décisions qui s'imposent en situation de crise. Au plan anthropologique, ces penseurs estiment que la violence est d'une certaine manière l'horizon indépassable du politique : ce que le politique a fait dans un temps très long, la guerre, et plus généralement la violence, le défont en un temps très court. La politique se réduit ainsi au conflit et à la lutte : elle ne fait que courir derrière la guerre et la violence sans jamais pouvoir les rattraper.
Abstract
This article presents an analysis of the thought of such authors as Lenin, Ludendorff, Schmitt, Foucault, and Girard, who all reversed Clausewitz's famous "Formula" in Vom Kriege : "War is the continuation of politics by other means". While these five authors diverge considerably in their positions on the 20th century political and ideological scene, they share two theses which in combination account for their common inclination to reject Clausewitz's dictum when analyzing the relationship between war and politics. From an ideological point of view, they all doubt if liberal philosophy will ever be able to free man from the torments of war. Not only because in their view, achieving such a utopian objective is beyond liberalism's reach, but also because keeping war under control is problematic at best in a liberal environment since it makes the decisions required by critical situations difficult to reach. From an anthropological point of view, those thinkers consider that violence is in some way the unsurpassable horizon of politics: what politics is apt to achieve over long periods of time, can be undone in no time by war, or violence more generally. Thus, politics is but a matter of conflict and fighting, and it runs after war and violence with no chance of ever catching up.
Mots-clés : Guerre ; politique ; violence ; libéralisme ; Clausewitz ; Aron ; Lénine ; Ludendorff ; Schmitt ; Foucault ; Girard.
Keywords : War; politics; violence; liberalism; Clausewitz; Aron; Lenin; Ludendorff; Schmitt; Foucault; Girard.
Citation
Holeindre, Jean-Vincent, "Violence, guerre et politique : Étude sur le retournement de la 'Formule' de Clausewitz", Res Militaris, an online social science journal, vol.1, n°3, Summer/Été 2011.